Internationalisation de l’enseignement supérieur : le cas de la Chine – Salima Laabi Zuber
Dans un article précédent, nous traitions de l’internationalisation et de la marchandisation de l’enseignement supérieur. Focalisons-nous désormais sur le cas de la Chine. La Chine se démarque au sein du continent par une action régulatrice offensive dans le secteur de l’enseignement supérieur, doublant depuis un peu plus d’une dizaine d’années ses dépenses en R&D qui passent de 0,9 % du PIB en 2000 à plus de 2 % en 2013.
Une stratégie chinoise offensive de « renforcement des capacités »
Dans une vision constante de croissance économique, de renforcement des capacités et d’augmentation de capital humain, la Chine encourage la venue d’étudiants étrangers par une offre de programmes de bourses ambitieuse et en forte augmentation. Ces programmes de bourses sont accompagnés d’accords interrégionaux et d’échanges universitaires. Elle développe par ailleurs son système d’enseignement supérieur par une politique d’émergence d’université d’excellence à vocation internationale. C’est à travers l’action de nombreuses agences spécialisées dont la principale est le China Scholarship Council (CSC), dépendante du ministère de l’Education chinois que les autorités chinoises régulent leur politique volontariste d’internationalisation de l’enseignement supérieur. Ainsi, en 2014, environ 9,8% des étudiants étrangers ont disposé d’une bourse offerte par le China Scholarship Council. En effet, les autorités chinoises ont pour objectif sur la base du « Plan d’étude en Chine » d’accueillir 500 000 étudiants internationaux à l’horizon 2020 contre 265 000 en 2010.
Néanmoins, la maîtrise de la langue chinoise constitue un obstacle important, réduisant à 40 % seulement des étudiants étrangers en Chine poursuivant des études diplômantes. Selon les chiffres publiés par l’ambassade de France en Chine, les étudiants étrangers qui poursuivent des études au sein des universités chinoises sont en constante augmentation avec 43,6% qui poursuivent un cursus diplômant, soit une augmentation annuelle de 11,16% de 2013 à 2014. Les formations les plus visées sont de niveau master et doctorat, avec une augmentation d’effectifs de 18,20% en glissement annuel.
En ce qui concerne le processus d’importation de produits étrangers, la dimension anglophone demeure prépondérante dans la mesure où la stratégie chinoise est de se positionner sur l’échiquier international. Elle se traduit par la mise en place de programmes de langues étrangères et d’études transculturelles dispensées généralement en anglais. Dans un souci d’attractivité et de recherche d’excellence, les universités vont procéder à la traduction de manuels les plus récents émanant des universités américaines les plus prestigieuses (telles que Harvard, Stanford et le MIT) dans les domaines des sciences, de l’ingénierie, de la médecine, du droit, du commerce, de la gestion et dans certains domaines des lettres.
Les plus grandes universités sont dotées de budgets renforcés en vue d’acquérir une renommée mondiale et de se positionner parmi les meilleures dans les classements internationaux. Ces transformations témoignent de l’ambition de la Chine de constituer ses propres centres d’excellence et d’entrer dans la compétition internationale. Sur le plan géopolitique, les dirigeants entendent mener une stratégie d’influence en s’appuyant notamment sur la constitution d’universités de rang mondial.
Un des éléments de la politique d’influence programmée par la Chine est notamment le « Classement académique des universités mondiales » de Shanghai, créé en 2003 par l’universitaire Jiao Tong. Ce classement, dont la pertinence de ses six critères principaux est souvent décriée par de nombreux experts occidentaux, liste les 500 premières universités mondiales et propose un classement ordonné des cent universités les plus performantes. A travers la promotion de cet instrument à l’échelle international, les autorités chinoises considèrent que le système universitaire est au centre de la politique d’innovation et d’industrialisation du pays. La rupture de ce classement est d’avoir imposé depuis plus d’une dizaine d’années un dispositif chinois sur la scène internationale qui transcende le système anglo-saxon pour l’évaluation des établissements d’enseignement supérieur, devenant une référence pour la plupart des gouvernements. Il illustre la capacité de la Chine à imposer un outil de référence simple et médiatique lui permettant d’assoir une forme d’autorité internationale dans le secteur de l’enseignement supérieur et d’affirmer son influence géopolitique, autrement dit son soft power, concept développé par le doyen de Harvard Joseph Nye.
En faisant de l’internationalisation de l’enseignement supérieur chinois une de ses priorités, la Chine présente un modèle avant-gardiste qui encourage et régule tant le départ des étudiants chinois que leur retour et n’hésite pas à intervenir dans l’attractivité de son enseignement supérieur. La Chine agit ainsi dans une posture de quête constante de nouvelles connaissances afin de rattraper son retard technologique et de se hisser au niveau des grands pôles de formation actuels européens et américains. La Chine adopte pour reprendre la typologie de l’OCDE des quatre grandes stratégies d’internationalisation de l’enseignement supérieure, la stratégie fondée sur « le renforcement des capacités ». L’ouverture de son enseignement supérieur lui permet d’intégrer des modèles d’excellence de pays étrangers à son propre système, et l’encouragement de ses étudiants à la mobilité internationale ainsi qu’à leur retour lui permet de moderniser son système d’enseignement supérieur et de former des personnels qualifiés.
A l’instar de la Chine, certaines économies émergentes du continent africain s’inscrivent dans cette perspective de mondialisation de leur enseignement supérieur. Elles tentent de suivre le mouvement de « l’économie de la connaissance » par la constitution – entre autres – d’une configuration intra-régionale spécifique. Ces pays ont pour ambition de s’ériger en tant que hub d’enseignement supérieur africain.
Salima LAABI ZUBER – Docteur en Sociologie Politique de l’Université P8
Diplômée de l’IRIS Sup’ en Géoéconomie et intelligence stratégique
Articles :
Futao Huang, « L’internationalisation de l’enseignement supérieur à l’ère de la mondialisation : ses répercussions en Chine et au Japon », Politiques et gestion de l’enseignement supérieur 2007/1 (n° 19), p. 49-64.
Articles de presse :
Antonia Dubrulle, « Internationalisation de l’enseignement supérieur : les paradoxes de l’exemple chinois », Asialyst, 6 janvier 2016
Rapports :
Institute for Statistics-Canada, Higher Education in Asia: Expanding Out, Expanding Up, The rise of graduate education and university research (2014), UNESCO
Les étudiants étrangers : un enjeu de la politique migratoire, la lettre du CEPII, N° 338 – 20 décembre 2013
Vers une internationalisation renforcée de l’enseignement supérieur chinois, les dossiers Campus France, Juillet 2013 – numéro14, Journée Chine